mardi 15 décembre 2009

"Rien ne rend l'esprit étroit et jaloux comme l'habitude de faire une collection"

Quand il était petit, mon frère avait une collection très originale : une collection de collections.

Il y avait les timbres, papillons de papier coloré, rectangles voyageurs stampés d'encre effacée, bien rangés sous une bande de plastique rigide, bien plaqués sur le canson noir d'albums alignés sur l'étagère.

Il y avait les pin's, rondelles métalliques à l'attache indétachable, qui trouait le tissu et rouillait en larmes brunes, en vrac dans une boite en plastique qui avait dû, dans une autre vie de salle de bain, contenir des cotons-tiges.

Il y avait les insectes, trouvés au jardin, sèches sauterelles aux pattes fuselées, grasses mouches strassées de glauques saphirs et de troubles émeraudes , araignées rétrécies aux pattes repliées dans la mort, tous et toutes ailes et pattes épinglés sur la plaque de polystyrène qui jaunissait.

Il y avait les cartes téléphoniques, rectangles froids et mats, messages publicitaires, nombre d'unités, une pile de plastique qui sentait la cabine, odeur métallique d'urine et d'haleine de toutes les conversations échangées.

Il y avait les bouteilles de coca-cola, toutes les langues, toutes les tailles, fer et verre, camaïeu de rouge plus ou moins fané, la mondialisation en action jusqu'à la petite voiture de métal à la tôle faite de canettes recyclées.

Il y avait la tablette aux horreurs, cadavres momifiés de souris, cadavres écrasés de grenouilles imprudentes sur la route, longuement séchées au soleil du macadam, os de rongeurs dégagés à la pince des pelotes de déjections des oiseaux de la nuit aux plumes fines et d'autres macabres trophées posés sur le pin blanc.

Il y eu sans doute aussi la collection d'escargots vivants dans la boite à chaussures, de têtards du printemps qui ne devinrent jamais grenouilles en été, de coquillages des plages bretonnes qui fleuraient la marée, de chapeaux du monde entier, tant et tant de collections qui furent un jour montées au grenier puis jetées quand la maison fut vendue.

Depuis trois ans, je collectionne à mon tour de drôles d'objets, des diplômes archaïques sur des parchemins signés à l'encre par des présidents d'université en toge, des articles scientifiques qui finiront au grenier, des auditions avortées avant l'été, des espoirs fanés exposés comme des monstres, des postdocs strassés de vide qui comble les projets de l'ANR

Hier, j'ai repris le chemin familier de la poste, pour compléter ma collection de numéros de qualification, j'en ai déjà deux, un par année de candidature. Jamais deux sans trois, j'ai ressorti mon dossier à convaincre, l'ai un peu toiletté pour la section nouvelle et l'ai imprimé en deux exemplaires qui partiront vers le Sud qui chante et l'Est qui neige. Hier j'ai recommencé un dossier CNRS à ajouter aux autres cadavres de dossiers de ma collec'. Hier j'ai ajouté un article à grenier à mon Curriculum Vitae, cette monstrueuse collection de collections qu'on jettera peut-être quand la maison sera vendue.